Nous avons tous une vision ou un modèle de comment la vie devrait être afin de combler nos besoins et de nous permettre enfin de nous réaliser. Ce modèle provient en grande partie de notre conditionnement social et familial. Il comporte une multitude d’associations neurologiques et de croyances limitatives qui nous empêchent souvent de danser avec la vie et d’éprouver de la gratitude pour tout ce qu’elle nous offre.
Pour m’exprimer métaphoriquement, la vie est une danse et elle se manifeste souvent avec la force et la puissance d’une rivière au printemps qui déborde de son lit. Le lit, ici, représente notre modèle, ce que nous croyons que la vie devrait être pour arriver à combler nos différents besoins. Pour la plupart d’entre nous, comme il existe toujours un écart entre la vie, la vraie, et notre modèle, nous gaspillons souvent notre pouvoir, notre énergie vitale, à vouloir ramener cette rivière dans son lit alors que, nous le savons, c’est impossible. Nos besoins n’étant pas comblés dans l’immédiat, ici et maintenant, en raison notamment de cette distance entre la réalité et notre modèle, nous vivons souvent dans l’espoir qu’un jour ils le seront. Nous espérons que la vie fera en sorte que nous rejoindrons notre modèle, tout en espérant que nous serons présents à ce moment pour nous sentir comblés, rassasiés. Toutefois, comme notre vision de réalisation change et évolue constamment, la majorité vivra toujours dans l’attente du succès et du bonheur tant attendu.
Nous nous répétons souvent ces associations ou ces croyances à tel point qu’elles sont bel et bien ancrées en nous et deviennent notre illusion, notre vision de la manière dont la vie devrait être. Le problème, c’est que nous savons rarement qui nous sommes, et par le fait même, ce que nous voulons, nos désirs n’étant souvent que les fruits de notre conditionnement et non les nôtres. Ceux qui nous entourent ont l’air si heureux, surtout ceux qui voyagent en première classe ou qui se promènent en Mercedes, qui s’habillent avec des vêtements griffés ou vivent dans de luxueuses maisons. Probablement que si j’étais né dans une famille de motards ou de hippies, mon conditionnement aurait été différent et mon modèle de bonheur aussi.
Il y a tout de sortes de grands courants dans la vie, des tendances de fond et des vents dans toutes les dimensions de la vie humaine. Quand on se bat contre la tendance avec la moindre résistance, quand on se bat contre la force de la rivière, nous créons de la souffrance. Il y a de la douleur dans toutes les facettes de la vie humaine parce que la vie est rarement comme notre modèle. La vie change et notre modèle change aussi; il évolue et c’est aussi ce qui en fait un problème insoluble. C’est fluide, et c’est ça, être humain.
Il est beaucoup plus facile pour celui qui fait de la voile d’utiliser le vent que de se battre contre lui. L’ancien triathlète en moi se souvient qu’il est beaucoup plus facile d’utiliser la force du courant de l’eau que de vouloir se battre contre lui. L’athlète de sport de combat comprend aussi comment utiliser toute la force de son adversaire pour ensuite mettre tout son poids derrière afin de générer une force qu’il n’aurait pu avoir seul. L’amateur de deltaplane reconnaîtra qu’il est plus facile de planer avec le vent que de s’y opposer, sinon une mort inévitable l’attendrait.
Prenons l’exemple de la météo. Elle est assurément une tendance sur laquelle nous n’avons aucun contrôle. Il y a certes des temps plus plaisants que d’autres. Juste à voir l’espace qu’occupe la météo dans les bulletins de nouvelles ou dans les conversations, juste à entendre les gens en discuter sur le bord du distributeur d’eau, on comprend qu’il s’agit d’une préoccupation pour plusieurs. Si nous avons des activités extérieures ou des petits à habiller, se tenir au courant de la météo à venir peut certainement être utile, et même vital parfois. Mais une fois que l’on connaît la météo, s’y opposer et ne pas l’accepter tourne l’expérience négative en douleur, et dans certains cas, en souffrance. Il y a de la neige au Québec au moins quatre mois par année : c’est la danse. S’y opposer crée bien inutilement des chansons qu’on se répète continuellement dans notre esprit, qui produisent des tensions et finissent par gâcher nos moments, nos journées et nos vies.
Il y a beaucoup d’autres exemples de vies humaines, tels que la femme qui n’a pas accepté que son mari l’ait quittée pour une autre, les parents qui n’acceptent pas que leur enfant soit gai ou qu’il choisisse un métier d’artiste, la femme d’affaires qui a fait une mauvaise transaction, l’athlète qui n’a pas réussi à se qualifier. Ne pas accepter d’être fatigué, que notre corps soit fatigué, et se répéter constamment que notre corps est dans cet état ne font qu’empirer la situation. Ça devient notre illusion, notre monde, notre vie, sans que nous puissions sentir notre corps et vivre la vie comme elle est, sans filtre.
Les exemples du quotidien sont encore nombreux : ne pas accepter que quelqu’un nous coupe en voiture ou en ligne pour la caisse à l’épicerie, que l’autobus soit en retard ou plein, que notre restaurant préféré soit complet le soir où l’on voulait y aller ou que notre aliment favori soit en rupture de stock; ne pas accepter les foules du Costco le samedi matin; les bruits de notre voisinage, des autos-camions, des voisins d’en haut qui sont bruyants, des corbeaux qui hurlent ou des chiens qui aboient; ne pas accepter notre situation financière qui se détériore, les erreurs, la défaite, notre corps tel qu’il est ou qui vieillit, la maladie et la mort.
Notons aussi les grands courants mondiaux économiques, politiques, écologiques et sociaux. Le refus d’accepter ce sur quoi nous n’avons aucun contrôle, ce qui semble inacceptable à notre esprit rationnel, et le refus de mettre consciemment tout notre poids derrière cette tendance de fond nous placent à contre-courant dans une position de souffrance autogénérée.
La qualité de notre vie se résume souvent à notre capacité d’accepter ce sur quoi nous n’avons aucun contrôle. Lorsque nous n’acceptons pas la vie comme elle est, nous n’acceptons pas l’impermanence de tout parce que nous avons peur : peur de ne pas savoir ou peur de l’incertitude que ça peut créer. Nous jugeons constamment pour nous sécuriser, pour diminuer cette peur, cette crainte qui nous habite en tout temps.
Lorsque nous sommes habités par cette peur, nous sommes dans notre mode par défaut, un mode de survie où nous nous coupons de notre cœur, de ce qui nous nourrit. En ne permettant pas à la vie de nous nourrir, nous nous retrouvons en déficit émotionnel, puis en réaction face au fait que la vie, la vraie, n’arrive que très rarement comme notre modèle. Lorsque nous sommes en déficit émotionnel, c’est que nous avons l’intention de faire entrer la rivière dans son lit. Nous perdons alors notre pouvoir de réagir aux aléas de la vie au lieu de nous laisser bercer par elle. À lutter contre la rivière, le courant, nous forçons la vie, ce qui explique souvent la piètre qualité de notre existence.
Ce n’est pas une mince tâche d’accepter l’inacceptable, ça prend du courage et le paradoxe c’est que ça doit passer par le cœur. La pratique spirituelle nous rapproche de notre cœur et nous libère de la tyrannie de notre intellect. Une fois que nous avons la capacité de cultiver des émotions près du cœur, même dans des conditions qui ne sont pas favorables, cela nous positionne dans une abondance émotionnelle au lieu d’être vides par le fait que la vie n’est pas comme notre modèle.
J’ai récemment déménagé à moins de 10 minutes du studio de yoga et depuis je pratique la marche de la gratitude. Pendant mon déplacement vers le studio ou de retour vers la maison, il s’agit d’éprouver de la gratitude pour tout ce qui m’entoure, dans le « ici et maintenant », et aussi pour tout ce qui remplit ma vie. Je ne me donne pas le droit de regarder mon téléphone ou de penser à mes problèmes ou douleurs; je ne fais qu’éprouver de la gratitude pour toutes les beautés de vie, mais aussi pour la pluie, pour ceux qui me coupent sur le coin de la rue, pour les travaux, pour les fumeurs et ainsi de suite.
Depuis que j’ai cette discipline, je me retrouve encore plus en position d’abondance émotionnelle, ce qui me donne le pouvoir de faire face aux différents problèmes de gestion d’un studio de yoga ou aux douleurs que la vie humaine peut apporter dans ma vie personnelle. Mais au lieu de réagir au fait que la vie n’est pas comme mon modèle, le courage trouvé dans mon cœur me donne le pouvoir d’accepter et d’agir selon la richesse de la sagesse du moment présent, ce qui change en mieux la qualité de ma vie.
Namaste.