En 2008, Érik Giasson est au sommet de sa carrière dans la haute finance. Il obtient le poste de ses rêves, à New York, chez Brevan Howard, un des plus grands fonds d’investissement, et qui dispose de plus de 30 milliards d’actifs sous gestion. Il est le roi du monde, fréquente des millionnaires, roule dans des voitures de luxe. Il vit à un rythme fou, travaille de longues heures tout en ayant la garde partagée de ses quatre filles et s’entraîne en même temps pour des triathlons et un Ironman.
La performance est au cœur de ses préoccupations : « Il fallait que je sois le meilleur partout, tout le temps. Il m’en fallait toujours plus, je n’étais jamais satisfait. C’était ça, ma vie, je vivais en équilibre dans ma vie déséquilibrée. »
Avec la crise financière, à peine six mois après avoir obtenu le poste tant convoité, à 43 ans, il perd son emploi. À la même période, signe du destin, il se blesse lors d’un entraînement d’Ironman et découvre ce qui va changer sa vie, le yoga. « Ç’a a été une bénédiction, cette blessure, car j’ai découvert le yoga et je me suis transformé. J’ai compris que j’existais en dehors de mon travail, que je n’étais pas juste le gars de finances avec une grosse job qui gagne de l’argent et qui aime les voitures de luxe. » Entre 2008 et 2010, il vit deux ans de cheminement et d’éveil spirituel. « En 2010, j’ai vendu ma maison, mes voitures, j’ai laissé ma blonde avec qui j’étais depuis 10 ans, je me suis inscrit à des cours pour devenir professeur de yoga et je suis parti en formation en Inde pendant trois mois. »
« Il faut avoir une bonne dose de maturité et une certaine connaissance de soi pour se réorienter professionnellement. Dans cette recherche, se poser les bonnes questions est essentiel, explique Pierrette Desrosiers, psychologue du travail. Il y a une introspection à faire, connaître ses forces, ses faiblesses et savoir pourquoi on veut changer de métier. C’est un processus qui évolue et la première chose qui nous alerte est l’insatisfaction. Quand on ressent un inconfort, on s’interroge. Quels sont les besoins auxquels je ne réponds pas et, surtout, quelles sont mes valeurs? Car souvent, on se rend compte que les choix qu’on a faits n’ont pas mené au bonheur. »
« À travers mon cheminement, j’ai compris qu’il existait une personne différente en moi. J’ai appris à voir les gens au-delà de leur image sociale et à les découvrir dans leur intériorité, confie Érik Giasson. Toute ta vie, tu es endoctriné, tu dois réussir à tout prix, tu fais des études, tu penses que tu incarnes ce que tu représentes, mais ce n’est pas vrai. » Pour la psychologue, un travail doit correspondre à nos compétences, mais aussi à nos valeurs. « Il faut être en accord avec les valeurs de l’entreprise et la nature du travail. C’est ce qui va teinter nos choix, ça correspond à la personne que je suis. Beaucoup de gens réalisent à un certain âge qu’ils ont répondu aux attentes des autres. Ils sont devenus avocats pour faire plaisir à leurs parents et ça ne leur convient plus. Ils souhaitent faire autre chose », explique Pierrette Desrosiers.
Marie Colombier avait envie de s’épanouir autrement. Après 15 ans dans l’armée française, elle met un terme à sa carrière militaire où elle occupait le poste d’entraîneur des officiers. Elle quitte Paris et s’envole vers Montréal pour rejoindre sa conjointe, qui a été mutée quelques mois plus tôt. « C’était une belle occasion de passer à autre chose. Un besoin de changement avait déjà mûri en moi. J’avais l’impression d’avoir fait le tour et, à 35 ans, je souhaitais vivre dans un cadre moins strict. Je ne voulais plus simplement exécuter les ordres, mais faire ce dont j’avais envie. J’ai suivi mon amoureuse et je suis arrivée à Montréal à l’été 2011. »
Elle est engagée comme monitrice de sport chez Cardio Plein Air. Le choc a été grand avec les cours de cardio-poussette. « Quinze mamans avec leurs bébés en poussette qui discutent entre elles. Je ne m’entendais plus, il n’y avait pas beaucoup de discipline, alors que j’étais habituée à entraîner 30 officiers qui ne disaient pas un mot et qui étaient au garde-à-vous. »
Aujourd’hui, Marie Colombier allie les séances d’entraînement et la massothérapie. Elle a suivi une formation pour devenir massothérapeute. « Je vieillis un peu. Entre 15 et 20 séances d’entraînement privé par semaine, c’était beaucoup et je sentais quelques douleurs qui se réveillaient. » Ce qui a été plus difficile dans sa réorientation a été de quitter le mode de vie communautaire de l’armée, ce qu’elle a sous-estimé : « D’un point de vue psychologique, ç’a a été un peu dur, car l’armée, c’est peut-être un cadre sévère, mais on vit en communauté, des liens très forts se tissent entre officiers, c’est une famille. Se retrouver du jour au lendemain seule, travailleuse autonome, sans voir personne, a été difficile. Il a fallu m’adapter », constate Marie.
« Une dose de courage aussi est utile pour changer de métier, tout comme un certain réalisme. Une reconversion peut être très stimulante, mais aussi énergivore. Toute nouvelle adaptation est très stressante, car on va créer de nouvelles habitudes », prévient la psychologue Pierrette Desrosiers.
Érik Giasson est professeur de yoga depuis près de trois ans et propriétaire du studio de yoga Wanderlust avec son associée Geneviève Guérard. Il évolue dans un environnement qu’il aime et est heureux d’avoir un contact privilégié avec ses élèves. Il vit dans moins de confort et, surtout, avec moins de stress. Il est content de son choix malgré quelques fantaisies qu’il ne peut plus se permettre. « J’ai encore des envies de luxe… des envies de belles voitures… j’ai encore du travail à faire sur moi. Je me sens le plus riche que j’ai jamais été, même si je suis plus pauvre que je n’ai jamais été d’un point de vue financier! », s’exclame Érik, un sourire dans la voix.