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Changer de vie: arrêter de courir après l’argent!

Par Mathieu-Robert Sauvé, de L’Actualité (article disponible ici)


Érik Giasson a quitté un emploi à Wall Street pour ouvrir un studio de yoga à Montréal.

 

«On va commencer par la position de l’enfant: fessiers sur les talons, mains sur les genoux. On prend de longues inspirations par le nez, puis on expire lentement…»

Nous sommes au studio de yoga Wanderlust, dans le quartier Mile End, à Montréal. Vêtu d’un short ample et d’un t-shirt de coton, le professeur, Erik Giasson, est assis dans la position du lotus, parfaitement détendu. La quinzaine d’élèves installés sur des tatamis obéissent avec docilité à ses directives prononcées d’une voix apaisante.

Erik Giasson, pieds nus et crâne rasé, ne ressemble plus guère au loup de la finance cravaté et bien coiffé qu’il a été pendant 21 ans. Bourreau de travail, il parcourait alors la planète financière, de New York à Londres, pour le compte de la banque américaine  Morgan Stanley et du fonds d’investissement britannique Brevan Howard. Il a négocié des centaines de millions de dollars, touché un salaire dans les sept chiffres et possédé une grande maison dans la chic banlieue d’Oakville, à l’ouest de Toronto; le garage attenant abritait deux Porsche et une Ferrari. Marié et père de quatre filles, il incarnait le self-made man à l’américaine. Athlète de la démesure, il courait des triathlons Ironman (3,8 km à la nage, 180,2 km à vélo et 42,2 km à la course).

«Si on m’avait dit, il y a 10 ans, que je deviendrais prof de yoga, j’aurais éclaté de rire», admet l’homme de 51 ans, qui assume pleinement sa nouvelle réalité. Il ne parle plus taux d’intérêt, gestion de portefeuille et capital de risque, mais recherche d’équilibre, importance du moment présent et harmonie intérieure. Son revenu a fondu à moins de 20 000 dollars par année. Qu’importe! Sa course à l’argent nuisait à son équilibre personnel, affirme-t-il. «Dans le milieu de la finance, il y a toujours quelqu’un qui réussit mieux que toi ou qui gagne plus d’argent que toi. Tu veux une plus grosse maison, une voiture plus luxueuse. Il n’y a pas de limites à cette surenchère. Aujourd’hui, je suis débarrassé de ça. Au yoga, mon compte en banque n’intéresse personne.»

Non qu’il renie son ancienne vie; elle lui a simplement filé entre les doigts. En quelques années, des placements mal avisés et la crise financière de 2008 l’ont acculé à la faillite. Côté personnel, deux coups durs l’ont sonné. «Ma femme m’a quitté pour mon meilleur ami. Puis on m’a diagnostiqué un cancer de la thyroïde», raconte-t-il à propos de cette période noire de sa vie. Tout a basculé, et un profond désespoir l’a habité pendant plusieurs mois. «Pas une journée ne passait sans que je pense à me suicider.»

Ce sont des cours de yoga, à Los Angeles, qui l’ont sauvé. Il était en route vers son quatrième triathlon lorsqu’une blessure l’a contraint à faire une pause. «J’allais aux cours pour passer le temps durant ma convalescence, mais ça m’a fait du bien. Beaucoup de bien.»

Le seul fait d’apprendre à respirer a été pour lui une épiphanie. Et puis relâcher la pression, reprendre le pouvoir sur son environnement, être à l’écoute des autres, tout ça l’a remué. «Je me suis profondément remis en question», dit-il. Sa séparation lui est apparue comme l’occasion de prendre conscience qu’il devait accorder plus d’attention à ses relations humaines. Et son cancer, en rémission, lui a fait comprendre l’importance de vivre pleinement chaque instant.

Originaire du quartier Saint-Vincent-de-Paul, à Laval, Erik Giasson est issu d’une famille de médecins. Son grand-père et son père étaient cliniciens, et toute la parenté s’attendait à le voir suivre leurs traces. C’est plutôt HEC Montréal qui l’accueille après le cégep. Pendant ses études universitaires, il voit un de ses copains, Pierre Ferland (actuellement dirigeant de la Banque royale d’Écosse, à Hongkong), connaître du succès en finance. Avant de finir son bac en 1988, la Banque de Montréal l’embauche, puis la Banque Nationale le débauche. Il fait bonne figure, assurant des profits à ses actionnaires. Sa carrière progresse jusqu’à Wall Street. Puis survient le krach de 2008. «On ne s’en est pas vraiment aperçu ici, mais cette crise a eu des répercussions majeures aux États-Unis. Près d’un demi-million de personnes ont perdu leur emploi d’un coup. J’étais du nombre.» Lui qui n’avait connu que l’ascension se retrouvait les ailes coupées.

La méditation l’a mené à la pleine conscience. Et sa fibre d’homme d’affaires lui a fait flairer une nouvelle tendance lorsqu’il a suivi sa formation au studio Kula, à New York. «À Montréal, il n’y avait pas de studio de yoga comme ceux que j’avais découverts aux États-Unis. Il fallait saisir l’occasion.»

C’est au 7, avenue Laurier Est, dans une ancienne banque, qu’il a ouvert son studio avec une partenaire d’affaires, Geneviève Guérard, qui a été danseuse aux Grands Ballets canadiens. Wanderlust est un concept né à New York qui fait une large place à la musique. De type Vinyasa, l’approche fait converger «séquences créatives, défi physique et mental, et précision des alignements posturaux». Avec près de 1 500 élèves par semaine, c’est le deuxième studio en importance à Montréal. «On pense agrandir, car on manque d’espace», résume celui qu’on surnomme aujourd’hui le «yogi de Wall Street».

Après un voyage en Inde et beaucoup de méditation, Erik Giasson s’est rendu compte qu’il n’arrivait pas à adhérer tout à fait au mode de vie des «yoga freaks». Les fleurs dans les cheveux et les volutes de patchouli, pas pour lui. «Je bois du vin, mais pas trop; je mange de la viande, mais pas trop…» Il roule dans une Volvo 2007 d’occasion.«J’espère la garder encore quelques années», lance-t-il en souriant. De toute façon, il se déplace à pied la plupart du temps, car il habite à 500 m de son studio.

Le nouvel adepte de la simplicité volontaire est tout de même resté un peu… hyperactif. En plus de ses classes de yoga — une dizaine par semaine —, il offre ses services d’entraîneur personnel à une vingtaine de clients. Et, fort de son expérience, il donne aussi des conférences sur les façons de surmonter les crises personnelles et professionnelles.