Plusieurs d’entre nous s’identifient à un rôle, à un titre, à un travail, à un statut social, à un statut familial ou même à son corps. Certains sont même obsédés par un aspect de leur corps: calvitie, petit mollets, grosses fesses, gros bras, etc. À une certaine époque, j’ai moi-même eu ces obsessions. Avec du recul, je peux maintenant dire que ce n’était en fait qu’une autre définition de moi-même, du moins, de la personne que je pensais être…
Nous cherchons souvent la reconnaissance de toute part; même dans une maladie ou la souffrance. Puisque nous vivons souvent dans la polarité, nous vivons sous l’illusion qu’il n’est pas possible d’être heureux avec ces souffrances. Plusieurs finissent même par “devenir” leur maladie. Ils ne feront plus la différence entre leur condition de vie et leur vie. En réalité, cette maladie deviendra souvent une autre définition de l’image que nous nous somme fait de nous-mêmes, un autre rôle, une diminution de qui nous sommes véritablement. Et malheureusement, toute diminution de qui nous sommes n’est en fait qu’une prison.
Or, pour d’autres, et ce sera le sujet de mon article aujourd’hui, la maladie ou la souffrance représente une opportunité de grandir, de se libérer de son image social, de se libérer de prison. Avec sa permission, je me permets de vous partager ouvertement l’histoire d’Anne, une de mes étudiantes qui est d’ailleurs devenue une amie et une source d’inspiration.
A la fin d’une classe, Anne vient me voir pour me dire qu’elle est atteinte du Parkinson. Je suis alors bouche bée, puis ensuite ému. En réalité, je ne sais pas trop quoi dire, quoi répondre, n’ayant jamais eu moi-même une maladie de cette envergure. Je ne peux évidemment l’aider concrètement et tout ce que je peux faire, c’est ouvrir mon cœur, l’écouter et l’accueillir dans sa souffrance. Elle me dit: «Erik, quand je suis dans ta classe, j’arrive à oublier que je suis malade». Sa pratique de yoga lui permet alors de faire la différence entre sa condition de vie et sa vie, entre son corps et son essence, entre qui elle pense être et qui elle est vraiment.
Les semaines passent et elle devient une de mes étudiantes les plus régulières, littéralement dédiée à sa pratique. Quelques mois plus tard, toujours à la fin d’une classe, je lui demande si elle va bien. Attention, ici je fais une parenthèse : cette vraie question mérite une vraie réponse, car beaucoup se posent cette question très populaire sans réellement vouloir entendre la réponse. Revenons à Anne. Elle me répond qu’elle va bien, très bien même. Elle me dit qu’il y a des journées difficiles, car il y a un coté dépressif à sa maladie. Or, sa pratique régulière de yoga l’aide à voir l’autre endroit dans elle qui n’est pas déprimé. Anne me dit ensuite : «Tu sais Erik, si j’avais eu cette maladie quelques années plus tôt, je me serais sûrement enlevé la vie». Elle m’explique alors qu’elle était une maniaque du contrôle et qu’elle avait une peur incontrolable du changement. Puisqu’ il y a une grande incertitude face au développement de sa maladie, au quotidien, elle n’aurait pas été capable de vivre dans ce contexte, sans contrôle sur sa vie. Car en fait, elle s’était défini ainsi: une femme qui veut tout contrôler parce qu’elle a peur de tout. Alors Anne me dit : «Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai plus peur, je fais tout, j’essaye tout, je vis la vie». Elle se donne maintenant des objectifs et elle fonce pour provoquer les choses sans chercher à contrôler le dénouement. Avec sa maladie, sa souffrance, sa pratique spirituelle, Anne a transcendé la personne qu’elle pensait être pour toucher à qui elle est profondément. Elle s’est libérée de sa prison. Il ne s’agit pas de nier la souffrance, de nier la maladie. Il est impossible de construire notre bonheur ou notre équilibre dans la prétention que la souffrance n’existe pas. Il s’agit plutôt de ne pas juste “être” la maladie.
Encore plus incroyable, Anne vient tout juste de recevoir une mention honorifique à l’échelle nationale pour son travail en photographie. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander si elle croyait que sa maladie faisait d’elle une meilleure photographe. Anne m’a répondu sans hésitation : «Oui, parce qu’avant, je pensais que mon travail de photographie était peu important. Aujourd’hui, je réalise l’importance de la vie, de se donner dans sa vie». Elle me partage également qu’elle voit la vie différemment, elle voit la beauté de la vie, ce qui lui permet de prendre des photos avec les yeux de quelqu’un qui aime et savoure la vie.
Malheureusement, très peu d’entre nous s’identifient à l’obtention d’un corps en santé. Ici, je ne fais pas allusion aux fanatiques de la santé, aux triathlètes, aux yogis ou à ceux qui ont le culte du corps. Non, je pense à tous les autres qui prennent leur bonne santé pour acquis. Nous trouvons tous mille et une raisons de ne pas se réaliser, de ne pas s’éveiller dans notre vie quotidienne. L’histoire d’Anne (et il y en a bien d’autres) démontre que nous ne sommes pas juste notre corps ou notre maladie, nous existons au-delà de notre corps, au-delà des conditions de vie. Mais surtout, il n’est pas nécessaire de faire face à la souffrance ou à un échec pour s’éveiller, pour être vivant dans sa vie. Le meilleur moment de le faire, c’est maintenant!